Étude d’un tableau

Plusieurs régions se partagent l’oeuvre de Borel : l’Auvergne et le Forez, le Dauphiné, mais surtout la Provence et la Méditerranée.

C’est en 1847 que Paul Borel a connu les rives méditerranéennes, alors que son frère Léon, convalescent, tentait de recouvrer la santé. Ses amis ensuite l’attirèrent vers cette côte aimée des artistes. Harpignies, Renoir, Corot, Appian, Allemand, Grangier, Trévoux ou Poncy recréaient sur la côte un immense atelier. « …Elle les voit tous, ceux qui escomptent planter leur chevalet, s’asseoir aux pointes de ses collines, au revers des calanques »… écrivait alors Xavier de Magallon. Borel ne pouvait échapper au mythe provençal, aux ciels vibrants dont sa pointe traduisait avec agilité le perpétuel mouvement des nuages, aux clairs de lune ou aux éclats de soleil sur la mer agitée. Sanary – alors Saint-Nazaire jusqu’en 1890 – où demeurait son cousin Grangier, fut son point de chute. Félix Thiollier et Trévoux partagèrent ses promenades. Hyères, Eze, Monaco, l’Estaque, les bords de l’Argens, tout fut prétexte pour Borel de dessiner, de graver, de peindre ces sites encore déserts.

En 1867, Burty l’introduisit auprès de Cadart et Borel, après son dessin magistral de Monaco, gravera le rocher d’une pointe austère. Cadart et Luquet éditeront cette belle estampe dans leur livraison de 1867, pour la Société des aquafortistes.

Ce n’est que beaucoup plus tard, vers 1896, que Borel animera ses gravures de personnages symboliques. Peut-être peut-on alors dater tous ces dessins exposés d’avant 1896 ? Rien ne permet de le faire, aucune mention n’existe sur les dessins retrouvés. Modeste dans sa vie, réservé dans ses rapports avec le monde de l’art, Borel sans cesse courait la campagne et crayonnait à longueur de promenade les sites dont il martelait le sol.

Deux cents dessins de paysages purs vont permettre de replacer l’artiste parmi les grands paysagistes. Ses dessins se répartissent en plusieurs séries : La mine de plomb, petite indication précise destinée à garder le plus souvent le souvenir d’une rivière, d’une plage ou d’un arbre ;*

La plume, incisive, alerte, griffant le papier, souvent rehaussé de gouache ou de fusain ;

Le lavis, précieux dans ses notations, soutenu d’un trait de crayon de pierre noire, de gouache, de plume ou de fusain.

Le fusain, gras et sombre, un peu dramatique, mais dont les artistes de la fin du siècle dernier jouaient avec facilité ;

L’huile enfin, petits formats de chevalet, qui laissait au peintre la joie de se détendre, de se laisser vivre devant un soleil couchant ou une mer nacrée.

Paul Borel s’exprime à travers tous les procédés, adopte une cuisine de mélanges d’encres, crayons, gouache ou craie. Sa spontanéité est réelle. Il ne recherche pas l’effet. Il le trouve, sans repentir aucun. Ses oeuvres parfois demeurent inachevées, l’exubérance, l’impatience de l’artiste le poussant toujours à aller de l’avant, à entreprendre sans cesse une nouvelle esquisse, une nouvelle ébauche. Cependant, il nous est arrivé de retrouver le même site, à la mine de plomb sur un carnet de croquis, puis à la plume, au lavis, à l’huile sur des cartons fragiles et cassants, et enfin à l’eau forte. La grande facilité qui ressort de ses dessins contraste violemment avec une certaine lourdeur de ses oeuvres monumentales qui sont alors prières. Les dessins au contraire, sont à hauteur d’homme, à dimension de vie humaine, ils traduisent des sensations que chacun peut ressentir.

Paul Borel, peintre inspiré, nous convie alors au plaisir de la promenade. Peut-être pourrions-nous trouver dans ses paysages, rarement animés, une excuse à sa Foi. Les rochers ne sont-ils pas la solidité divine ? L’arbre n’est-il pas arbre de vie, les grands horizons ne traduisent-ils pas sa soif d’infini ? Nous pensons qu’il faut abandonner tout ce symbolisme de Borel et ne voir dans les paysages de cette exposition que détente de l’esprit et de la main, acuité des sens visuel et auditif, car on entend ses vagues déferler sur la grève et son torrent dévaler la montagne.

Les supports des dessins de Borel sont en général des vélins colorés, beiges, roses, bleus ou verdâtres, même orange. Il sut utiliser habilement le fond du papier pour accentuer un effet ou au contraire éclairer un site trop morose.

Colette BIDON
Extrait de Paul Borel
1828-1913 Paysages –dessins et gravures